Bénin : Complaintes de Femmes Ordinaires

Dans les environs de Golo au Bénin où nous avons mené des recherches anthropologiques, en marge de celles-ci, notre attention a été attirée par les femmes au travail. Leur bravoure ne le cède en rien dans une communauté où les hommes se contentent de vendre les terres hérites de leurs parents, font la fête avec l’argent perçu, achètent des motos ou des tricycles qui leur servent de taxi. Pendant ce temps, les femmes sont dans les champs et dans les marchés, sur les routes, souvent à pieds ou sur les zemijan sous la pluie et le soleil…

Dans les trois entretiens publiés ici, trois femmes Mahé, Sètovi, et Ida, expriment leur déréliction face à la vie dure et chère et interpellent à mots couverts les pouvoirs publics.

Mahé, mariée, mère de trois enfants, petite quarantaine, se plaint du prix exorbitant de la mesure de maïs, qui raréfie le nombre des clients. De plus en plus, des clients, dit-elle, viennent juste pour moudre une demi-mesure ou moins. De quoi faire une bouchée de pâte. Comment venir moudre du maïs, lorsque son prix à plus que doublé en l’espace de quelques mois ? Mahé se plaint aussi des coupures incessantes et quotidiennes de l’électricité, qui en deviennent insupportables. Au lieu de couper 10 fois le courant par jour, (parfois pendant 5 minutes), pourquoi ne coupent-ils pas une bonne fois pour toute dans une journée pour qu’on sache à quoi s’en tenir ? demande-t-elle avec une pertinence naïve qui ignore l’obscure logique de ce fonctionnement épileptique du courant. Mais, mère de famille, Mahé a des enfants à nourrir…

Sètovi jeune femme d’une petite trentaine d’année, mère de famille, se plaint de la pluie qui ne tombe pas, et des jeunes pousses qui meurent, brûlées par un soleil intense, persistant et sans répit. A l’en croire, cette absence inhabituelle de la pluie serait due à la construction de la doublure de la voie inter-état reliant l’hinterland béninois aux pays du Sahel (Niger et Burkina Faso). Cette route qui est à double voie en amont d’Allada, a vu sa doublure arrêtée entre Sékou et Missésento. Au regard de l’intensité de la circulation dans le secteur où les camions et véhicules lourds en direction du Nord règnent dangereusement en maîtres, passer près de la voie sans voir quelque corps de victime étalé à même l’asphalte ( le plus souvent des zémijan, mais pas que) est une chance inouïe, qui vaut de rendre grâce au Ciel. Mais depuis la mise en service de la GDIZ ( Zone Industrielle de Glo Djigbé) le gouvernement a enfin trouvé un motif valable pour mettre fin indirectement à l’holocauste…

Quel rapport entre construction de la route par des sociétés étrangères et rareté de la pluie ? A en croire la jeune cultivatrice, les Blancs disposent de machines qui empêchent la pluie de tomber. Sont-ce des canons à nuages ou d’autres dispositifs plus modernes et d’autant plus secrets qu’ils sont stratégiques ? Difficile à faire la part de superstition et de réalité, dans une croyance solidement partagée dans tout le coin. Dans un pays digne de ce nom, on imagine mal que des sociétés étrangères dans l’intérêt de leur contrat, se permettent de perturber ou de modifier à leur guise le processus météorologique sans l’autorisation des pouvoirs publics. Et le cas échéant, dans une démocratie — le Président du Bénin n’a-t-il pas affirmé et assumé ces derniers temps que tous les moyens étaient bons pour sauvegarder la démocratie ( cf. le blocus du Niger) – – dans un pays véritablement démocratique, on ne peut pas décider de priver les populations notamment rurale de la pluie — même tactiquement — sans les associer à une telle prise de décision. C’est pour cela que le soupçon, bien que largement partagé par les populations riveraines, laisse pantois. Sans compter l’imperturbable assurance des travailleurs, en dépit les dégâts potentiels que pourraient créer des pluies diluviennes à leur ouvrage en construction, comme si quelque part, ils avaient reçu la promesse des cieux.

Les gens ne viennent plus coudre des vêtements… Comment voulez-vous penser à vous habiller lorsque vous n’avez pas de quoi manger… ? Avant, j’avais une grande boutique en face du marché, et des apprenties par dizaines. Une a une, elles sont parties, préférant la vie facile avec les hommes qui les débauchent sans suite plutôt que d’apprendre le métier ; avec la crise qui n’en finit pas, j’ai dû fermer boutique pour me replier ici, chez moi. Mais le plus difficile en ce qui concerne ma vie personnelle est la situation de mon mari. Il conduisait des camions de marchandises du port vers le Niger. Mais depuis la fermeture de la frontière décidée en dépit du bon sens sans prendre l’avis de personne, le camion de mon mari est bloqué; ses affaires sont tombées à l’eau, et toute la charge de notre famille repose sur mes frêles épaules. Doit-on se lever et fermer les frontières comme ça sans demander l’avis de personne ? Quand on lui dit que c’est une décision qui a été prise par la CEDEAO au nom de la Démocratie, confondant la CEDEAO avec les Blancs — ce en quoi, elle n’a pas tout à fait tort surtout si Blanc dans son esprit veut dire Français — elle répond à brûle pourpoint : « C’est ça qu’on va manger ? Les Blancs sont-ils là pour nous indemniser après qu’ils ont demandé de fermer les frontières ? » A ces questions de la pauvre femme, je suis restée sans voix ; préférant les prendre pour des questions rhétoriques …

Ces voix ordinaires de femmes ordinaires ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des plaintes des Béninois, même et surtout de ceux qui se taisent ou se terrent mais qui n’en pensent pas moins…

Gbetey Béatrice

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